À compter du 1er avril 2023, les entreprises d’au moins vingt travailleurs doivent ancrer le droit à la déconnexion, l’un des piliers du deal pour l’emploi, dans leur organisation. Madelien Overtoom, HR consultant chez Liantis, estime qu’il faudra opérer un changement de culture pour donner réellement corps au droit à la déconnexion, et ce à trois niveaux. L’individu, mais aussi l’équipe et l’organisation doivent adhérer à la démarche. « La base ? Un bon leadership. »
La déconnexion, qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Madelien : « Le droit à la déconnexion est le droit légal de ne pas être connecté ou joignable en dehors des heures de travail. Vous vous déconnectez littéralement de votre travail et/ou de votre employeur. Votre employeur ne peut donc plus vous contacter, sauf dans des circonstances imprévisibles ou spécifiques qui ne peuvent attendre. Chaque employeur doit définir ces circonstances et conditions pratiques dans une CCT ou dans le règlement de travail actuel. Les directives doivent déterminer de manière objective quand l’employeur a ou n’a pas le droit de déranger un collaborateur après les heures de travail. Le mieux est de définir ces règles au niveau de l’équipe. Quelles sont les circonstances exceptionnelles pour cette équipe en particulier ? Dans quels cas de figure pouvons-nous nous contacter ?
Pourquoi la déconnexion est-elle si importante ?
Madelien : « Le droit à la déconnexion doit aboutir à un meilleur équilibre entre travail et vie privée. Le collaborateur se déconnecte non seulement du travail, mais il doit aussi prendre ses distances avec les technologies d’information et de communication liées au travail. Ces dernières années, les TIC ont profondément modifié notre vie tant professionnelle que privée. Le but premier était d’améliorer et d’optimiser notre qualité de vie. Le revers de la médaille est que l’utilisation des technologies d’information et de communication peut également générer beaucoup de stress. Nous constatons un lien évident entre ces technologies et notre bien-être. »
Le droit à la déconnexion prévu dans le deal pour l’emploi est-il donc la solution par excellence ?
Madelien : « Définir quelques modalités en relation avec la déconnexion ne suffira pas. La déconnexion est de toute façon une notion éminemment personnelle. Pour certaines personnes, continuer à travailler un peu le soir ne pose pas de problème, tandis que pour d’autres, c’est une source de stress. Tout est une question de liberté de choix du collaborateur : s’agit-il d’une possibilité ou d’une obligation ? Il importe dès lors que le responsable d’équipe n’aborde pas uniquement ce sujet en équipe, mais aussi avec le collaborateur. Appliquer les règles est une responsabilité partagée.
Il convient bien entendu de se demander pourquoi et de quoi il faut se déconnecter. En cas de pression trop élevée au travail, par exemple, la déconnexion ne sera pas la solution pour diminuer le niveau de stress du collaborateur. Oser porter un regard critique sur la pression élevée au travail et miser sur une meilleure résilience du collaborateur (par la formation, le coaching... par exemple) est tout aussi important. La déconnexion est donc plutôt une piste pour aborder le sujet et pas une solution universelle. En outre, les collaborateurs doivent aussi oser mettre leur téléphone portable et leur ordinateur portable de côté. Ils doivent avoir le temps et la possibilité de laisser leur corps se reposer de toutes ces technologies, ce que l’on appelle une période de récupération. »
Que faut-il comprendre par période de récupération ?
Madelien : « Il s’agit d’un moment pour souffler. Un moment pendant lequel vous offrez à votre corps le temps et la possibilité de ne pas utiliser votre ordinateur portable ou votre smartphone. La période de récupération est donc difficile à garantir si vous lisez encore vos e-mails le soir ou pendant le week-end. La durée de récupération nécessaire par jour dépend de la personne. Il n’y a donc aucune règle universelle. Se contenter de dormir n’est quoi qu’il en soit pas suffisant pour récupérer.
Qu’en est-il des télétravailleurs ? Pour eux, la frontière est souvent encore plus ténue ?
Madelien : « C’est exact. Dans le cadre du télétravail, l’équilibre entre le travail et la vie privée est souvent mis à mal, et définir cette période de récupération n’en est que plus difficile. Vous passez d’une tâche à l’autre et l’ordinateur portable reste souvent allumé dans le salon. Le trajet de retour vers le domicile et les éventuels embouteillages ne sont certes pas amusants, mais ils permettent de mieux faire la coupure entre la vie professionnelle et la vie privée. La déconnexion ne coule donc pas de source pour les télétravailleurs. Ici aussi, le rôle de modèle du responsable d’équipe revêt toute son importance. Il doit veiller à entretenir un dialogue ouvert à ce sujet. »
La mesure du deal pour l’emploi ne s’applique qu’aux entreprises d’au moins vingt travailleurs. Trouvez-vous cela justifié ?
Madelien : « Cela peut donner l’impression que la déconnexion n’est pas utile dans les entreprises de plus petite taille. Rien n’est moins vrai. Au contraire, je pense que dans une petite entreprise, il est parfois encore plus difficile d’avoir des tâches bien définies ou de partager les responsabilités. Je conseillerais donc aussi aux petites entreprises de s’asseoir autour de la table et de passer des accords de ce domaine, même si ce n’est pas une obligation. Toute entreprise doit faire le point sur la situation actuelle et se demander quelle est la situation idéale pour l’organisation, l’équipe, mais aussi pour le collaborateur. Il faut garantir la continuité de l’organisation, mais pas au détriment du bien-être du collaborateur. »
Pour conclure, avez-vous encore un conseil à donner ?
Madelien : « Analysez votre situation d’un œil critique et posez-vous la question suivante : "Qu’est-ce qui génère ce sentiment de stress ?" Est-ce lié à la (dé)connexion, ou plutôt à autre chose, comme une pression trop élevée au travail ? Faites d’abord le point de la situation, puis essayez de décrire ce qui serait gérable pour vous. Ensuite, vous pouvez en discuter avec votre responsable d’équipe. Il joue un rôle crucial à cet égard et constitue le trait d’union entre l’organisation et le collaborateur. »