Le fait de prêter tous plus d’attention à notre santé mentale nous amène-t-il à travailler moins et freine-t-il la croissance de nos entreprises ? En voilà une bonne question ! Ignaas Devisch, professeur de philosophie et d’éthique médicales à l’UGent et CEO du think tank Itinera, a réalisé cet exercice périlleux entre économie et bien-être pour Liantis.
« La croissance ne doit pas forcément être au détriment de quelque chose, sauf si l’on considère qu’il s’agit d'une notion très limitée », indique Ignaas Devisch au vu du dilemme. Il met l’accent sur la prise de conscience selon laquelle une trop grande attention portée à la croissance économique peut nuire à l’ambiance de travail ou exercer une pression importante sur les travailleurs individuels.
« J’aime coupler la prospérité au bien-être. Ces deux notions sont en effet intimement liées entre elles. Et c’est aussi ce que font de plus en plus les entreprises. Bien évidemment, vous pourriez vouloir évoluer fortement et à vitesse grand V, le tout à court terme sans trop savoir quel en sera le résultat. Mais si vous souhaitez que votre entreprise continue d’exister à long terme, vous devez déterminer la voie dans laquelle vous souhaitez évoluer. Vous travaillerez ainsi en étant orienté avenir, ce qui vous amène automatiquement au bien-être et à la durabilité. »
Un poids qui devient une opportunité
« Le fait que l’on prenne de plus en plus conscience que la prospérité va indubitablement de pair avec le bien-être, est étroitement lié au changement drastique que connaît notre organisation du travail », indique Ignaas Devisch. « L’époque où un supérieur hiérarchique pouvait gronder ses collaborateurs pour qu’ils travaillent davantage, est bel et bien révolue. Une chose est claire : l’on doit se sentir bien pour fonctionner comme il se doit, sur le plan tant privé que professionnel. »
Cette prise de conscience s’accompagne d'une évolution considérable : les RH, la vision du travail et la volonté d’avoir les bonnes personnes au bon endroit, ont gagné en importance dans une entreprise moderne. « Le bien-être n’est plus un poids qui nuit à la croissance économique. Il ne la ralentit plus, puisque justement il permet de l’accélérer. L’approche adoptée envers les collaborateurs se traduit par l’ambiance qui règne au sein de l’entreprise. L’employeur qui l’a compris, a déjà une belle avance sur le reste. »
Devenir collectivement meilleur
Mais comment donc prévenir ces ambitions vagues et mettre en pratique le plan consistant à coupler la prospérité au bien-être ? Ignaas Devisch conseille d’en faire un point d’attention continu.
« C’est un élément à prendre en compte à chaque réunion ou à chaque étape que vous souhaitez franchir en tant qu’entreprise. Pour évoluer durablement, il convient de prendre en compte le bien-être mental de l’ensemble des collaborateurs. Si vous ne le faites pas et que les chiffres en matière de burn-out et de stress continuent d’être alarmants, vous verrez que vos travailleurs s’absenteront ou chercheront un autre travail pour échapper à cette pression. »
Ignaas Devisch rejette l’argument selon lequel les entreprises n’ont pas le temps de se pencher continuellement sur le bien-être par le biais d’une analyse coût-avantages.
« Si vous vous penchez sur les coûts engendrés par une maladie chronique ou de longue durée, vous constaterez qu’ils sont beaucoup plus élevés que ceux générés par l'organisation de moments de réflexion sur le bien-être. Ces moments doivent servir à vous demander ce dont ont besoin les collaborateurs pour pouvoir fonctionner correctement et devenir une meilleure équipe. »
Cadre de valeurs
Si vous souhaitez porter une attention continue au bien-être au sein de votre entreprise, il ne faut pas sous-estimer l’importance d’établir un cadre clair. Ignaas Devisch souhaite toutefois mettre les points sur les i : prévoir uniquement un brainstorming sur les valeurs de l’entreprise, ne suffit pas. « Le fait d’expliciter ce cadre de valeurs est dans l’intérêt du bien-être mental de tous vos collaborateurs. Vous devez pouvoir répondre à la question : quelle est la direction que vous souhaitez prendre en tant qu’entreprise ? Il ne faut pas que ce soit simulé, car c’est ce qu’ont fait les entreprises pendant tout un temps : elles faisaient appel à une personne pour intervenir trois heures qui en fin d’après-midi, formule les valeurs clés de leur entreprise. Après quoi, ces valeurs sont présentées dans un beau petit cadre au mur qui après trois semaines, passe totalement inaperçu. C’est de la poudre aux yeux. »
En revanche, la mise en pratique quotidienne d’un cadre de valeurs est une alternative bien meilleure. C’est la seule façon de prêter une attention quotidienne au bien-être. « Un exercice de réflexion approfondi doit s’immiscer à chaque niveau de l’entreprise, jusqu’à devenir un réflexe. Voilà comment vous transformez un principe sur papier en une valeur qui vit dans la tête des gens. Qu’il s’agisse de la sécurité, de la culture de feed-back ou de la relation entre la vie privée et la vie professionnelle. Un cadre limpide permet aux personnes de faire des choix concrets pour arriver à des décisions qui vont toutes dans le même sens. Vous pouvez ainsi réaliser chaque jour de petites étapes et gérer le processus de croissance selon le cadre approprié. »
Pour conclure, Ignaas Devisch insiste également sur l’importance de ne pas organiser ce processus depuis une tour d’ivoire.
« Si vous ne permettez pas à vos collaborateurs de participer d’une manière ou d’une autre à la réflexion portant sur la manière de réaliser leurs tâches, ils seront frustrés à terme », conclut-il. « L’attention portée à la participation des collaborateurs est encore souvent sous-exploitée. Tout est prêt, il faut seulement à présent que les entreprises commencent à en faire usage. »