Bernd Carette, expert : « La flexibilité est possible, mais le cadre est essentiel »
Télétravail ou plutôt présence au bureau ? Travailler quatre jours par semaine ou uniquement de nuit, ou plutôt conserver la semaine de cinq jours de travail ? De très nombreux employeurs et travailleurs recherchent des moyens d’organiser leur travail de manière flexible. L’expert Bernd Carette, Senior Manager chez Liantis Consult, nous donne quelques conseils sur la meilleure approche à adopter.
Comment faire pour que les collaborateurs fassent et continuent de faire preuve d’engagement au travail ? C’est une question que de nombreux employeurs se posent. Comme dans le passé déjà, mais d’autant plus aujourd’hui en raison de la guerre des talents, la complexité de la réponse ne cesse d’augmenter, selon l’expert Bernd Carette. En sa qualité de Senior Manager chez Liantis Consult et de docteur en psychologie d’entreprise, il soutient et conseille tant de petits que de grands employeurs dans tout ce qui touche à leur politique RH.
Bonjour Bernd. Une première question : est-ce une bonne chose que le deal pour l’emploi prévoie une semaine de travail de quatre jours ?
Bernd : « D’une part, c’est une bonne chose que les autorités incitent ainsi les employeurs et les travailleurs à réfléchir à de nouveaux systèmes en matière de flexibilité. D’autre part, il est important que les employeurs soient conscients qu’il s’agit d’un droit. Ils décident donc eux-mêmes s’ils souhaitent instaurer ce système. On observe en effet que ce régime spécifique n’est pas jouable pour toutes les PME qui emploient des collaborateurs. »
D’après vos observations, la flexibilité est-elle à l’ordre du jour, y compris dans les plus petites entreprises ?
Bernd : « Certainement ! Tant dans les petites PME que dans les grandes multinationales. Nous pouvons nous demander pourquoi ce thème est bien plus une priorité aujourd’hui qu’il y a environ cinq ans. Les travailleurs ont-ils fondamentalement changé ? Une étude internationale menée par Gallup en 2022 dans 38 pays nous apprend qu’avec une 30e place, la Belgique occupe le bas du classement en ce qui concerne l’employee engagement. En outre, nous voyons que dans le monde, l’engagement des travailleurs a diminué plutôt qu’augmenté ces dernières années. Les employeurs s’efforcent de trouver comment faire pour que les travailleurs conservent leur engagement. Offrir de la flexibilité est essentiel à cet égard.
Les travailleurs recherchent de plus en plus des conditions de travail adaptées à leur situation de vie et souhaitent un meilleur équilibre entre travail et vie privée. Cette situation diffère souvent fortement d’une personne à l’autre. Une étude internationale a révélé que plus de 75 % des jeunes générations (la génération Z et Y) veulent des régimes de travail flexibles. Moins de la moitié des jeunes générations estime qu’elle dispose de telles possibilités. Le résultat est qu’elles se positionnent de manière moins flexible vis-à-vis de leur employeur et limitent leur engagement aux heures de travail prévues dans leur contrat. Ni plus, ni moins. Cette tendance s’observe dans le monde entier, sous la forme de phénomènes tels que le “quiet quitting” et le “laying flat”.
Nous remarquons que pour de nombreux employeurs, il n’est pas simple de mettre en pratique toutes ces attentes et de transposer les intentions en un système adapté à leur situation concrète. »
Quelle est alors la meilleure solution pour ces entreprises ?
Bernd : « Il est évident qu’il n’existe pas une solution unique pour toutes les entreprises. Même si vous essayiez d’imposer un carcan à tous les travailleurs d’une entreprise, vous créeriez une tension et inciteriez les travailleurs à décrocher. Cela peut sembler étrange, mais pour bien organiser la flexibilité et la liberté dans une entreprise, vous devez commencer par définir un cadre uniforme que chacun respecte. Le premier grand cadre est élaboré par l’employeur ou le service RH. Il s’agit des règles qui régissent le travail et auxquelles nous ne pouvons pas déroger. Le nombre de jours de congé, le nombre minimum de jours de présence au bureau... Ensuite, les équipes peuvent prendre des accords dans les limites de ce grand cadre. “Le grand cadre demande que nous soyons présents deux jours au bureau, comment allons-nous faire en tant qu’équipe ?” Puis vient le troisième niveau, le niveau individuel, où les personnes prennent des décisions elles-mêmes. En bref : freedom within a frame. Et à tous ces niveaux, un dialogue ouvert et constructif est extrêmement important. »
Comment conserver la cohésion de l’équipe ?
Bernd : « Le rôle du responsable d’équipe ou de l’employeur est ici crucial. Ce n’est pas un exercice facile, mais il est très important. Il faut organiser le planning de manière telle que les collaborateurs se voient encore. Les règles doivent être établies de façon que certaines choses soient fixes. Par exemple, le mardi, tous les collaborateurs sont toujours présents au bureau. Il est évident qu’il ne doit pas être possible de déroger à cette règle à la moindre demande individuelle. Si le cadre est d’avance clair, les collaborateurs l’adopteront. Par ailleurs, les outils numériques offrent de nombreuses possibilités de rester en contact. Une récente étude allemande a montré que la direction à distance et l’utilisation des outils numériques adéquats posent encore des défis aux responsables d’équipe en 2022. De très nombreux gains peuvent donc encore être réalisés sur ce plan afin de renforcer la cohésion de l’équipe. »
Nous associons plus souvent la flexibilité aux grandes entreprises et moins aux PME.
Bernd : « Pas toujours à juste titre. De nombreuses PME misent aussi fortement sur des modes innovants d’organisation du travail. En outre, si un petit employeur s’accroche obstinément aux anciennes formes d’organisation du travail, il risque de perdre la guerre des talents. Une étude nous apprend par ailleurs que les collaborateurs qui disposent de flexibilité sont plus motivés, plus engagés et plus productifs. De plus, la flexibilité agit dans les deux sens. Si vous offrez de la flexibilité, les travailleurs adopteront une attitude plus flexible à votre égard. Ils doivent travailler plus longtemps pour achever une tâche ? Ou assumer une surcharge de travail pour faire face à un imprévu ? Si vous vous montrez accommodant en tant qu’employeur, les choses se passeront sans aucun doute beaucoup mieux. »
Dernière question : comment voyez-vous cette flexibilité évoluer à l’avenir ?
Bernd : « Dans la littérature, on rencontre souvent le terme “idiosyncratic deals”. Ce phénomène gagnera assurément en importance au cours des prochaines années. L’idée de ces “i-deals” est que chaque travailleur conclut un accord individuel avec l’employeur au sujet de différentes facettes du travail. Cet accord peut concerner la durée du travail, le temps que vous passez au bureau, les conditions de travail, la rémunération, et cetera. Que pouvez-vous attendre de moi en tant que travailleur ? Et que puis-je attendre de vous en tant que travailleur ? Pour quoi souhaitez-vous vous engager ? Ces i-deals ne sont pas gravés dans le marbre et font en permanence l’objet d’un dialogue.
Quoi qu’il en soit, je suis certain d’une chose à propos de l’avenir : la flexibilité sera encore plus importante dans la relation entre l’employeur et le travailleur au cours des prochaines années. Les implications en sont nombreuses, par exemple en matière de gestion des bâtiments et de facility management au sens plus large. Le nombre de mètres carrés de bureaux nécessaires et l’aménagement des bureaux devront reposer sur les accords pris avec les collaborateurs. Le département RH organise ces accords avec les travailleurs. Je pense que le département RH occupera une place de plus en plus proéminente et de plus en plus centrale dans les entreprises au cours des années à venir. Ou, comme le dit toujours Lesley Arens de ZigZagHR : it’s a great time to be in HR ! (rire) »